Tempus fugit
Éditorial de la 1e annonce du 26e congrès de la SDS
Nous pouvons retrouver cette expression dans les Géorgiques (livre III, vers 284), œuvre du poète romain Virgile. Toutefois la citation est plus complexe et précise :« Sed fugit interea, fugit irreparabile tempus, singula dum capti circumvectamur amore ». Nous traduisons communément cette locution par « mais en attendant il fuit, le temps fuit sans retour, tandis que nous errons prisonniers de notre amour du détail. »
Que doit-on comprendre de cette citation ?
Concrètement, nous devons nous demander comment l’association a réagi face aux changements internes, comme la disparition des fondateurs, l’évolution de la mentalité des membres et peut-être aussi au passage d’un enthousiasme initial à une approche plus pragmatique ou plus distante. Est-ce que le bilan aujourd’hui semble plus modéré, voire critique, par rapport à la vision originelle ? Les nouvelles générations de professionnels se retrouvent-elles toujours dans les valeurs et la philosophie d’origine ?
Née il y a 27 ans, sous l’impulsion de plusieurs amis dentistes, notre association se nommait à l’origine « association des médecins dentistes helvétiques ». Ce nom qui peut paraître un peu pompeux aujourd’hui était en fait l’expression des valeurs que les membres fondateurs voulaient donner à cette association. A une époque où la formation continue était à ses balbutiements et organisée par un seul prestataire, il fallait amener une alternative à cette hégémonie, en proposant une formation continue de qualité, mais surtout sur un esprit d’ouverture quant à la politique professionnelle. L’aspect « humain », la convivialité, la solidarité professionnelle et les moments de partage étaient également au centre des préoccupations de l’association, car en dehors des congrès et des séminaires, le médecins dentiste était seul et isolé dans son cabinet. Malheureusement, dès le départ, cette vision originelle et idéaliste s’est vite retrouvée confrontée à des obstacles politico-juridiques et l’association s’est vue imposer, entre autres, de changer de nom. C’est ainsi que notre société a pris le nom de « Society for Dental Science – Switzerland (SDS). L’anglicisme dans le nom, première adaptation à une évolution changeante, était une manière de simplifier les choses, en surmontant les défis du plurilinguisme helvétique, mais en créant une certaine distance par rapport aux racines culturelles suisses. Toutefois, au fils des années qui passent inexorablement, l’association s’est efforcée avec enthousiasme de suivre ses objectifs initiaux et de maintenir ses valeurs originelles.
Aujourd’hui, objectivement, il est fascinant de voir comment la profession a évolué depuis ces 25 années et il est évident que cela a impacté les mentalités. Le passage des cabinets traditionnels aux grandes cliniques dentaires a modifié non seulement la façon de pratiquer, mais aussi l’approche des dentistes eux-mêmes vis-à-vis de leur travail. Les aspects humains de la pratique, comme les relations personnelles avec les patients, ont peut-être été affectés par cette transformation vers des structures plus grandes, avec des équipes plus nombreuses et une logique de gestion plus orientée vers la performance. L’informatisation a aussi joué un rôle énorme. De la gestion des dossiers patients à l’intégration de la télémédecine ou des technologies avancées en matière de diagnostic et de traitements, tout cela a modifié la manière de travailler au quotidien. La gestion des cabinets, avec des logiciels de planification, de comptabilité et de suivi des traitements, a sans doute facilité certaines tâches, mais a aussi introduit des défis, notamment en termes d’adaptation des praticiens à ces nouvelles technologies. Les jeunes générations, plus familières avec l’informatique et les nouvelles pratiques de gestion, doivent avoir une perspective différente de celle des fondateurs.
L’arrivée des générations X, Y, et Z a sans doute joué un rôle important dans ce changement de mentalité. Chaque génération a des priorités et des attentes différentes par rapport à la profession, à l’engagement et à la manière de contribuer à des causes collectives. Les générations plus jeunes, par exemple, peuvent être plus axées sur l’individualisme, la flexibilité et les carrières dynamiques. Leur engagement dans des associations pourrait être moins fort que celui des générations précédentes, pour lesquelles la solidarité professionnelle et l’appartenance à une organisation étaient souvent perçues comme des valeurs fondamentales. Le manque de convivialité et d’implication peut aussi être lié à un environnement de travail plus compétitif et plus technologique, où les relations personnelles sont moins évidentes et où la vie professionnelle s’est encore davantage rationalisée. L’aspect « humain » et les moments de partage, qui étaient plus marqués dans le passé, peuvent avoir perdu de leur place dans un cadre de travail plus axé sur la productivité, l’efficacité et la performance.
Le bilan est malheureusement à la fois révélateur et préoccupant, mais il semble assez représentatif des changements que connaissent de nombreuses associations dans divers secteurs, comme la perte de membres, la diminution de la convivialité et le manque de motivation à s’impliquer.
Cette situation signifie-t-elle nécessairement que l’association doit se résigner et est malheureusement vouée à disparaitre ?
Tempus fugit memento mori (le temps passe, souviens toi que tu es mortel)